voici un conte de
Henri Gougaud, que vous trouvez dans
Le livre des chemins, c'est un livre-conseil, qui répond à des questions secrètes par un conte que l'on trouve au hasard...
(que je conseille vivement d'ailleurs.... il est plein de merveilles
)
Celui-là je le trouve tellement beau et tellement simple en même temps que j'avais envie de le partager :
L'ange- Maïtre, je vous le dis tout net. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour vous servir de domestique. S'il faut le faire d'accord. Mais en retour, je vous en prie, instruiez-moi. Je veux savoir.
- Allons, travaille, mon garçon. Balaie le seuil. Coupe le bois.
- J'aimerais un jour parvenir à être plus savant que vous. Imaginez que j'y parvienne. Serez-vous jaloux, dites-moi ?
- Il faut aussi traire la chèvre. Avons-nous encore assez d'eau ?
- Vous ne m'estimez pas capable ? Parlez franchement. C'est cela ?
L'ermite s'assied sur un roc, à l'ombre bleue de l'olivier, devant sa maison de cailloux. Son regard s'éclaire. Il est bien. Il soupire :
- Quel temps superbe !
Son disciple :
- Oui, il fait beau. Mais moi, mon maître, mon désir est de percevoir ce que cachent les apparences. On dit que vous voyez les anges. Pensez-vous que je puisse, un jour ?
- Ce soir, si tu veux, mon garçon.
Le jeune homme en reste pantois. Sa bouche s'ouvre, ses mains tremblent. C'est inespéré. Ses yeux rient. Il court soudain à ses travaux, fend plus de bûches qu'il n'en faut, fait un ménage de grand jour, va puiser trop d'eau, tourne, vire. Voici la nuit. Diner de fruits, dehors, devant le feu fringant.
- Goûte ces poires, elles sont parfaites, dit l'ermite. Il faut les manger. Elles seront trop mûres, demain.
- Je n'ai pas faim. Et l'ange, dites ?
- Il arrive. Tiens, le voici.
Face au jeune homme, tout soudain, s'assoit un énorme démon, cornu, velu, puant la crasse, tête de bouc, crocs de serpent, corps de gorille, queue de rat. Le garçon bondit en arrière, court s'enfermer dans la maison. Il veut prier, il ne peut pas, il a trop peur, il geint, grelotte. Pas un bruit pourtant, sauf la brise qui murmure dans l'olivier. Il ose entrebâiller la porte. Il risque un oeil. L'ermite est seul. Il finit son diner, tranquille. L'épouvanté sort, prudemment.
- Il est parti ?
- Qui donc ?
- Le diable.
- C'était un ange, un vrai, tout beau, mais ton regard l'a déguisé. Impatience, sottise crasse, avidité, désir fumeux, tu avais pour cela, mon fils, tous les vêtements qu'il fallait. Tu veux savoir ? Vide ta tête. Tu veux te trouver ? Oublie-toi. Demain matin tu changeras les trois tuiles brisées du toit.